COMPORTEMENT PRÉMIGRATOIRE
DU JEUNE CIRCAÊTE CIRCAETUS GALLICUS
par Yves BOUDOINT
ABSTRACT
Observations on the pre-migratory behaviour of young Short-toed Fagles Circaetus gallicus : frequent late-afternoon flights, grouping of young birds and departure inde-pendent of aduits.
De 1978 à 1983, j'ai particulièrement observé le comportement du jeune Circaète ayant quitté son nid et le départ en migration. J'ai appris à distinguer un jeune d'un adulte en vol grâce à sa blancheur particulière.
Les observations en période prémigratoire c'est-à-dire entre le 20 septembre et le 4 octobre ont été faites sur un site en bordure de laLoire à 7 km en aval du Puy en Velay, site fréquenté par trois couplesCircaètes.
Tout d'abord le jeune Circaète reste perché presque tout le temps sans guère voler et ne quitte pratiquement pas le vallon oû il est né. Le dérange-t-on, il va se percher à nouveau à quelques centaines de mètres. Il n'apparaît pas qu'avec le temps il tente de chasser bien qu'il utilise le vent pour faire du « sur place ». Je ne l'ai jamais vu s'emparer d'une proie. Au reste la dépendance du jeune dure longtemps et les adultes le nourissent plusieurs fois par jour jusqu'à leur départ.
Le 22 septembre 1982, après un nourissage tout à fait habituel, j'ai vu le jeune quitter son vallon, se laisser emporter vers le Nord par le vent à plus de 5 km tandis que la femelle, située à proximité, n'a pas réagi ; d'ailleurs les parents se désintéressent des évolutions du jeune.
Le 24 septembre 1983, vers 17 h, un jeune, qui se tenait depuis longtemps perché près de son nid, s'envole à la vue d'un autre jeune sur son territoire, et va le rejoindre en prenant l'attitude agressive très remarquable de ces oiseaux ailes très écartées avec dièdre, queue serrée et relevée, cou tendu. Les voici tous les deux montant de plus en plus haut, à peine visibles à l'oeil nu. Celui que je suis à la jumelle prend alors le départ vers le Sud-Ouest c'est-à-dire la direction du Soleil. Après avoir parcouru 2 km dans cette direction, il fait demi-tour et retrouve le premier qui, entre temps, a rejoint un troisième.
Ces trois jeunes Circaètes tournoient alors en montrant une vive excitation : cris, attitude agressive, mais aussi une manifestation jamais observée en d'autres circonstances : un frémissement des ailes relevées sur le dos et à demi pliées, manoeuvre qui faisait perdre àl'oiseau une certaine altitude. Un des jeunes a fait cette manoeuvre quatre fois. Après ètre monté ainsi très haut, je les ai perdus de vue malgré mes efforts, je n'ai pas réussi à les retrouver.
Regroupement journalier des jeunes.
Ce genre de rassemblement a été observé quatre fois : Une première fois en 1978 avec 4 jeunes entre 16 h 30 et 18 h ; une deuxième fois le 24 septembre 1982 à 17 h 30 avec 3 jeunes. Le 22 septembre 1983 avec 2jeunes à 17 h 25 ; et enfin, le 24 septembre 1983 avec 3 jeunes à16 h 20.
Les adultes ne participent pas à ces manifestations, j'en ai vu un pendant l'une d'elle, continuer tranquillement à chasser.
L'observation de 1978 a montré que ce regroupement peut durer plusieurs heures mais il se termine par une séparation et, le lendemain matin on retrouve les jeunes sagement immobiles dans leurs vallons respectifs. Autant qu'on puisse en juger par l'observation d'oiseaux si discrets, les adultes disparaissent dans les deux ou trois jours qui suivent mais il est certain que des nourissages normaux peuvent avoir lieu dans le vallon du nid après la ou les premières journées d'émancipation. On est surpris par le contraste entre le comportement nonchalant et routinier du jeune dans la journée et le comportement excité et social de pré-migration qui a toujours été observé entre 16 et 18 h et qui se renouvelle sans doute tous les jours.
Le départ.
On peut légitimement penser que le départ des jeunes se produit au cours d'un rassemblement donc vers 16, 17 h, et alors la voie à prendre est la direction du Soleil.
Par contre, pour les adultes, aucune observation ne suggère un regroupement pour le départ, ainsi, le 25 septembre 1982 un adulte a été contrôlé presque sans interruption de 9 h 45 à 12 h, il chassait toujours seul ; l'après-midi et les jours suivants, aucun adulte n'a été revu. On a vu d'autre part que les adultes ne participaient aux aux rassemblements de jeunes.
Après le départ des adultes, les jeunes se mettent à chasser sérieusement mais ils font certainement aussi beaucoup de perchoir. L'idée d'un oiseau restant 15 heures perché sur la même branche et s'envolant subitement pour un voyage de 5 000 km a quelque chose d'impressionnant.
La situation météorologique.
D'une année à l'autre les situations météorologiques sont très variables. En 1981 et 1982 vent de tempête pendant la période considérée par contre en 1983 pas un nuage n'a été aperçu et il n'y avait pas de vent.
L'événement le plus extraordinaire s'est produit en 1980. Le 19 septembre comportement normal des adultes et du jeune qui n'a jamais quitté son vallon. Beau temps.
Le 20 septembre en fin d'après-midi deux jeunes sont absents de leurs deux vallons.
Dans la nuit du 20 au 21 et la matinée du 21 pluies orageuses torrentielles. La crue de la Loire dépasse tout précédent connu. Plus aucun Circaète n'a été revu par la suite mais la catastrophe ayant rendu l'accès de la vallée de la Loire impossible, la surveillance a été insuffisante : 3 h 30 d'observation en 4 séances après le 21.
On sait que l'arrivée des Circaètes se produit à une date très fixe c'est le 13 mars à un jour près, en est-il de même du départ ?
Il faut tout d'abord remarquer que la date d'arrivée c'est le jour oû l'on voit le premier Circaète mais rien ne prouve qu'ils arrivent tous ce jour-là.
Il en est surement de même du départ ; on a pu voir des jeunes jusqu'au 2 octobre et la fourchette de départ des jeunes serait
22 septembre-4 octobre avec une plus grande probabilité pour 25 septembre~ler octobre, quelques attardés restant 3 ou 4 jours de plus.
Le départ en migration peut-il être plus précoce ?
Plusieurs observations s'accordent mal avec celles que nous venons d'évoquer jusqu'ici.
Le 4 septembre, vers 16 h, j'ai observé un Circaète adulte en vol de migration. Il battait des ailes sans arret, et, venant du Nord-Est il a poursuivi à perte de vue au Sud-Ouest. C'était en Haute-Loire en un site oû j'ai passé beaucoup de~temps ces trois dernières années sans y avoir jamais vu d'autre Circaète que celui-ci.
Le 10 septembre 1959 dans les Pyrénées, à 5 km au Sud-Ouest du col d'Aubisque, à 2 200 m d'altitude, 8 Circaètes étaient rassemblés et leurs cris témoignaient d'une vive excitation. Malheureusement, à cette époque, je ne savais pas reconnaître les jeunes. L'hypothèse d'un rassemblement de jeunes locaux doit être rejetée car la densité des nids dans les Pyrénées est très inférieure à celle de la Haute-Loire et, rassembler 8 jeunes en un tel lieu paraît invraisemblable; il s'agissait plutôt d'oiseaux en migration.
Enfin, un couple dont la nidification avait échoué en 1981 était habituellement très visible dans son cantonnement, or, à partir du 8 septembre, il n'a plus été revu.
Ce sont les seuls arguments disponibles en faveur d'une vague de migration au début de septembre. Cette migration concernerait les immatures et les oiseaux non retenus par des tâches de reproduction.
Conclusion.
Finalement les observations faites suggèrent le schéma provisoire suivant:
Une première vague de départ se produit début septembre, elle ne concerne pas les oiseaux qui élèvent des jeunes. Jusqu'à une date voisine du 20 septembre, le jeune Circaète demeure dans son vallon sans en sortir, il est ravitaillé régulièrement par les deux adultes, il vole peu et ne capture pas lui-même de serpents.
Vers le 20 septembre il s'émancipe au milieu de l'après-midi. Son impulsion migratoire apparaît être déclenchée en dehors d'influence des adultes.Parcourant la région au hasard, il provoque l'émancipation en chaîne des autres jeunes ; ceux-ci forment des groupes exclusivement
composés de 2 à 4 jeunes, volant très haut et témoignant d'une vive excitation. Le soir venu, chacun retourne à son vallon.
C'est alors que les adultes partent un à un dans les 3 ou 4 jours qui suivent, laissant les jeunes à leur excitation quotidienne de fin d'après-midi.
N'étant plus nourris, ces derniers commencent à chasser isolément et partent probablement dans les 6 à 10 jours qui suivent, au cours d'un rassemblement, c'est-à-dire vers 16, 17 heures et en direction du Soleil.
(Commentaire postérieur : Des indices montrent que le départ se ferait isolément le matin.)